dimanche 24 juillet 2011

Robert Plant & The Band Of Joy à la salle Wilfrid-Pelletier de la PdA - Dans l’attente du grand cri

Dans ces moments-là, ils sont beaux. Des ados, Alain Simard autant qu’André Ménard, tout fondateurs du FIJM soient-ils. «We’re very happy, obviously, I think it shows in our faces...», a dit Ménard d’entrée de jeu dans sa portion de présentation du Spirit Award à Robert Plant. Si ça paraissait? Au petit Salon Vert, adjacent à la grande scène de Wilfrid, on avait les visages comme des champs de boutons qui devraient péter mais ne pètent pas à force de retenir les mots. Les deux mots. Les mots qu’on ne pouvait pas prononcer: Led Zep. Ne pas mentionner Led Zeppelin. Surtout, ne pas mentionner Led Zeppelin. De grâââce, ne pas mentionner Led Zeppelin, nous avait-on rappelé et rappelé encore. La gérance de Plant avait dû insister fort: feu Peter Grant, légendaire gérant du Zeppelin, aurait été content. Intimidés, tous! Dame! On est Rock God où on ne l’est pas.  C’était quand même Plant qui était là en ce petit vendredi soir pluvieux à Montréal, à portée de ridules, le vrai de vrai Robert Plant, avec sa tignasse de Plant et sa charpente de Rock God.




Et sa voix de Plant. La voix haut-perchée de Plant. Timbre sacré entre tous les timbres! Qu’a dit Plant l’ex-chanteur du groupe-que-vous-savez? La statuette dûment décrite et remise, Plant a  évoqué feu John Bonham... la force de frappe de Led Zep. Évidemment, pour lui, pas d’interdit. «Il me disait: “Tu n’est pas tellement bon, mais au moins, you look good...”» Et notre Rock God de faire le modeste, témoignant de «sa chance» d’avoir multiplié les heureuses alliances (sous-entendu: pas seulement avec Page et consorts), et mesurant ses «capacités limitées» tout en  s’étonnant du kilométrage parcouru. Questions? Je m’attendais à ce que le premier journaliste l’appelle Jimmy Page par erreur. Mais non.
Pendant ce temps, Wilfrid tout zep-plein de ledzeppelinos finis rongeait son frein alors que s’échinait un groupe inconnu mais plus que passable —  avec un drôle de nom pour un ensemble roots-gospel: Bahamas... La rumeur ceinturait le Salon Vert comme un rappel à l’ordre: ce sympathique «brush with greatness» ne pourrait durer. Plant, rompu à ce genre d’exercice, a dit l’essentiel de ce que nous voulions entendre: «I’m a big fan of music, and I’m not finished...» Et le gaillard d’expliquer comment lui et les autres «sons of Howlin’ Wolf» (ah! l’art d’évoquer Led Zep sans nommer Led Zep!) avaient cru tout trouver chez les bluesmans du Delta mais que «le Mississippi gagnait encore à être creusé». Richesse du creuset des musiques pionnières des Blancs de l’Amérique du Nord, explorées au contact d’Alison Krauss et T-Bone Burnett  pour l’album Raising Sand, puis Buddy Miller et Patty Griffin pour l’album Band Of Joy. «Tout ça, c’est de la bonne musique que je n’ai pas écrite...»
Un Rock God heureux, Plant, qui n’échangerait pas son «bonheur d’apprendre» pour les millions de livres sterling d’une tournée-retrouvailles: «Être en compétition avec la jeunesse, avec ce que vous étiez, ne sert à rien. Je suis exactement où je dois être aujourd’hui, et c’est un très bon endroit.» On trouvait l’endroit très bien, nous aussi, mais bon, c’était l’heure, la foule à côté voulait sa légende vivante et menaçait de renvoyer Bahamas aux Bahamas.
Criera, criera pas?
Quinze minutes plus tard et ça y était. Première chanson: Black Dog. Du gros Led Zep. Encore fallait-il la reconnaître, Black Dog, dans sa mouture roots-rock détrempée: point de riffs canon façon Page. Wilfrid a mis quelques secondes avant d’entrer en éruption, mais jets de lave en fusion il y eut, du troisième balcon jusqu’au parterre. Plant avait les poses officielles de Rock God, jambe croisées, en léger déséquilibre, les moues classiques, le micro empoigné à deux mains, l’image iconique absolue. Deux morceaux non-Zep ont suivi, c’était fameusement bon, Buddy Miller à la guitare et Darrell Scott à la mandoline compostaient leur compost avec le talent qu’on leur sait, Patty Griffin mariait son timbre de rude beauté à celui — encore angélique — de Plant. Angel Dance, reprise de Los Lobos, était rugueuse et goûteuse à souhait. Pas con, Plant a suivi avec une chanson un chouia moins célébrée de l’album Led Zep II, What Is And What Should Never Be, aussi réussie que l’étouffée d’écrevisses à Biloxi. Les zeppelinos avaient eu deux cadeaux, Plant et son Band Of Joy pouvaient se concentrer sur leur tambouille.
Entre les morceaux de choix du dernier album (le House Of Cards de Richard Thompson, Monkey,  Satan Your Kingdom Must Come Down d’Uncle Tupelo), chacun a eu son tour de micro: le neilyoungien Buddy «Captain of the ship» Miller a gratté ferme une chanson à lui,  Somewhere Trouble Don’t Go, l’immense Darrell Scott a magnifiquement chanté rien de moins que de l’authentique Porter Wagoner (A Satisfied Mind), et Patty Griffin a offert Ocean Of Tears, bijou de son propre répertoire. Plant, parfaitement content d’être simple participant, harmonisait, ou soufflait dans son harmonica. Les zeppelinos ont apprécié, ovationné même, quoi que l’on sentait après Ocean une légère impatience. Le délégué syndical du Led Zep Fan Club hurlait «Rock’n’Roll» plus fort à chaque interstice, des fois que... Plant a fini par l’entendre, et répliquer: «You’re not gonna get me...» C’est bête, la semaine d’avant, il l’avait jouée, Rock’n’Roll, quelque part en Illinois: sans doute ne l’avait-on pas ainsi exigée.
N’empêche que deux chansons plus tard — In The Mood, et la splendide Please Read The Letter dans la version de l’album Raising Sand —, Wilfrid voulait sa dose de plomb. Misty Mountain Hop et Ramble On, puis Gallows Pole au rappel, auront tout juste permis aux zeppelinos d’exulter. Et encore, les versions, limoneuses et gorgées d’eaux boueuses du Mississippi, ne permettaient pas les démonstrations spontanées d’«air guitar» qui en démangeaient plus d’un. Encore heureux que Plant ait finalement poussé son fameux grand cri zeppelinien dans Ramble On, provoquant une nouvelle éruption du Krakatoa.
Certes y avait-il parmi ces 3000 spectateurs bon nombre d’aficionados de Miller, Scott, Griffin et leur sorte de jus de racines, qui sont repartis comblés, mais le constat était patent: malgré la proposition très clairement énoncée de Robert Plant, bien que précédée par deux albums roots-rock d’une rare pertinence, c’est fou ce qu’on entendait maugréer à la sortie. Juré craché, une dame en cuir a dit à un monsieur en cuir: «Il a même pas fait Stairway To Heaven...» Erreur sur la personne. Pour avoir ça, copié-collé, c’est du côté de Sylvain Cossette qu’il fallait aller. Plant, lui, était dans un «très bon endroit». Le sien.

Article de  Sylvain Cormier   25 juin 2011paru sur http://www.ledevoir.com/

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