jeudi 12 juin 2014

Standing ovation pour les jazzwomen (L'Humanité)

Au festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés, comme à Jazz’Hum’Ah lors de la Fête de l’Huma 2013, le talent féminin attire et enthousiasme le public. Messieurs les programmateurs, au boulot !

Jazz à Saint-Germain-des-Prés fait partie des rares festivals à accorder, dans sa programmation comme au sein de son équipe organisationnelle, une aussi belle place aux femmes. L’excellente fréquentation de la 14e édition montre que le public se déplace volontiers pour écouter des jazzwomen, surtout lorsqu’est menée une action de sensibilisation : nous l’avions noté à la Fête de l’Humanité 2013, avec le succès remporté par les jazzwomen programmées à Jazz’Hum’Ah. En l’église Saint-Germain-des-Prés, Youn Sun Nah, Coréenne arrivée à Paris en 1995, a reçu une ardente standing ovation, tandis que la pianiste-chanteuse Eliane Elias a donné deux concerts à guichets fermés à la Maison des océans, où, le lendemain, Kellylee Evans fait chavirer les âmes dans l’émotion, quand elle chante, à la manière d’une offrande, un titre sollicité par un spectateur.

Fara C. L'Humanité, le 30 mai 2014
  
La scène consacrée aux jazzwomen a, aussi, attiré du monde. On y a écouté la Guadeloupéenne Tricia Evy (dont le chatoyant CD Meet Me nous emporte auprès de Carlos Jobim, Al Lirvat, Baden Powell…), la Suédoise Sofie Sörman et Natalia M. King, Afro-Américaine établie en France (elle vient de publier le superbe album SoulBlazz). « Depuis son lancement en 2005, cette scène connaît un succès croissant, rappelle Donatienne Hantin, directrice de production et cofondatrice du festival avec Frédéric Charbaut (directeur artistique). Les chanteuses, bien que servies par le fait d’opérer sur le devant la scène, ne sont pas toujours reconnues comme des compositrices ou musiciennes à part entière, même si c’est le cas. »

La marginalisation des femmes chanteuses ou instrumentistes, Marie Buscatto, chercheuse au CNRS, l’analyse brillamment dans son livre Femmes du jazz, fruit d’une minutieuse enquête ethnographique effectuée durant douze ans. Elle précise : « Non seulement les femmes musiciennes de jazz sont peu nombreuses (8 % environ). Mais, surtout, même les plus reconnues sur le plan musical ne réussissent guère à en vivre et à se maintenir de manière pérenne dans la création musicale, comparativement à leurs collègues hommes. Cette situation est la même pour les chanteuses, majoritaires dans leur activité (65 % des chanteurs sont des femmes !), que pour les femmes instrumentistes (4 % des instrumentistes sont des femmes). »

Les femmes officiant dans la sphère du jazz affrontent les mêmes obstacles que leurs homologues cadres ou employées travaillant en des secteurs majoritairement masculins, à l’instar des informaticiennes, des scientifiques, etc. Les professionnelles non artistes voient leurs compétences reconnues si elles sont attachées de communication ou adjointes d’un boss. Mais les directrices de festivals, salles, sociétés diverses ou maisons de disques, ainsi que les chroniqueuses de jazz, restent rares. En ce sens, la dream team très féminisée de Jazz à Saint-Germain-des-Prés constitue un exemple stimulant.

Fara C. L'Humanité du Vendredi, 30 Mai, 2014

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