mercredi 3 juin 2015

Seasick Steve, capitaine flamme (Le Figaro)




Le bluesman septuagénaire s'offre un nouveau tour de piste, armé de son excellent nouvel album et avec un appétit que les années n'ont pas émoussé. bien au contraire.






Dès son entrée en scène, Seasick Steve ne fait rien comme les autres. Le 14 avril dernier, il arpentait les planches de l'Apollo de Londres une bouteille de vin à la main. Théâtre du concert d'adieu de Ziggy Stardust orchestré par David Bowie à l'été 1973, la salle est une institution du rock britannique depuis des décennies. Le public anglais, réputé exigeant, réserve alors un accueil prodigieux à l'anti-rock star Seasick Steve, 73 ans, qui vient de prendre place, assis au beau milieu de ses instruments pittoresques. Le bonhomme est ainsi très heureux de présenter une pièce de sa fabrication, sorte de guitare à une corde assemblée à partir d'un bidon d'essence, et ornée d'une plaque d'immatriculation américaine. Il en tire des sons rugueux et âpres qui s'accommodent à merveille de son timbre de vieux grizzli. À sa droite, son fidèle batteur l'accompagne, dans un ballet singulier de barbes grises.

Steve ne se remet pas de l'intensité des applaudissements nourris saluant chacune de ses chansons. Il ne comprend pas non plus l'intérêt de le photographier à l'œuvre. «Je suis habillé tous les soirs de la même façon, vous feriez mieux d'aller chercher une vieille photo plutôt que d'actionner vos portables!», lance-t-il au public. Son succès n'a en rien entamé la singularité du vieil homme, qui «fait carrière» depuis une dizaine d'années seulement, après une vie de hobo. Entre la côte Ouest (où il côtoie Janis Joplin), la Norvège (où il fonde une famille) et la scène grunge (au sein de laquelle il se fait quelques copains comme Kurt Cobain), le septuagénaire ignore la métaphore de «long fleuve tranquille». Il y a une poignée d'années, le bassiste John Paul Jones (ex-Led Zeppelin) nous vantait lui-même les mérites musicaux de cet atypique.
33 tours

Il est vrai que Seasick Steve compose un personnage attachant et spectaculaire en concert. S'il évolue dans des eaux principalement blues, il sait se lancer dans des variations aussi électriques que bien senties autour de la musique américaine. À un moment, le chanteur présente ainsi une copie vinyle de son dernier album, Sonic Soul Surfer. Branchant un électrophone, il commence à en diffuser un extrait, le standard Baby Please don't Go, devant un public médusé. «Certains d'entre vous n'ont peut-être jamais vu de 33 tours de leur vie, voici comment ça marche», dit-il, avant de le ranger et de jouer le même morceau.

Des moments surréalistes comme celui-ci, une soirée avec Seasick Steve en comporte une flopée. Sa relecture du country blues s'apparente à un happening punk, notamment lorsqu'il crache ses textes avec une hargne qui témoigne de sa jeunesse d'esprit. Le bonhomme a retenu la leçon du maître John Lee Hooker, avec lequel il se produisit: c'est quand il est sale que le blues est le meilleur. À côté de lui, Tom Waits apparaîtrait presque comme un crooner de Las Vegas. Anti-glamour au possible, Seasick Steve raconte sa vie fracassée avec une belle honnêteté. On pense parfois à des bluesmen comme T-Model Ford, qui avait lui aussi commencé à enregistrer sur le tard et compensait en insufflant une énergie phénoménale à chacune de ses performances. De la même manière, Seasick Steve approche chaque concert comme si c'était le dernier. Heureusement pour nous, il n'a plus de temps à perdre.

 Olivier Nuc Le Figaro, le 22/05/2015

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