jeudi 18 août 2016

Bernard Lavilliers à mots découverts (L'Express)

Bernard Lavilliers
Bernard Lavilliers


"Désormais, la peur est là." Mais Bernard Lavilliers, presque cinquante ans de carrière, ne baisse pas la garde...

Alors qu'il s'apprête à réinterpréter des titres de son album Pouvoirs, sorti en 1979, aux Francofolies de La Rochelle, le baroudeur de la chanson commente pour L'Express trois textes engagés de son répertoire. Qui sonnent toujours juste aujourd'hui.




Chapeau rouge vissé sur la tête, biceps gonflé par le rock de toujours et la colère contre l'époque, Bernard Lavilliers ne baisse pas la garde. A bientôt 70 ans, le boxeur des mots lance une nouvelle tournée intitulée Pouvoirs, du nom de son album culte sorti en 1979. Le disque ressort à la rentrée, accompagné de morceaux revisités par Feu! Chatterton, Jeanne Cherhal ou la chanteuse Fishbach. Dans son bar QG du XIe arrondissement de Paris, devant une bière, puis deux, il commente quelques-uns de ses morceaux emblématiques en cette année préélectorale.



La Peur


par Bernard Lavilliers, Pascal Arroyo et François Bréant (1979)

"La peur tire tes volets vers les huit heures du soir 

Et renforce tes gonds et ferme tes couloirs 

Dans le silence humide où la télé allume 

Sont-ils uniques aux reflets bleutés dans la brume"





"La face A de ce 33-tours, Pouvoirs, est consacrée au pouvoir des religions, de l'argent, des femmes - ou de leur impossibilité à l'exercer. Le disque s'ouvre par le morceau Frères de la côte et finit avec La Peur. Je me souviens très bien d'avoir écrit les paroles sur la route de Saint-Malo, où j'habitais alors. J'ai arrêté ma voiture à Dreux, impressionné par les fenêtres bleutées des HLM. 

Tout le monde regardait la même chaîne de télé à 20 heures. Le gouvernement de Valéry Giscard d'Estaing jouait sur la peur du chômage, des voyous - on vendait à la pelle des portes blindées. Dans le texte, je parle à un moment de '1933 en place pour le show'. J'ignorais que Dreux passerait au Front national quelques années plus tard. 

A l'époque, j'évoluais dans le monde des anars, on vivait des situations postrévolutionnaires: des amis se tournaient vers la lutte armée, je pense surtout aux Brigades rouges. A la création de Pouvoirs, je me suis produit cinq jours à l'hippodrome de Pantin. Le public qui m'avait suivi sur ma tournée précédente, T'es vivant...? - rock'n'roll, chaleureuse, sensuelle -, était décontenancé par ces textes froids qui nécessitaient une concentration. Et puis je demandais de ne pas applaudir entre les morceaux. 

Je revisite Pouvoirs aujourd'hui car j'étais frustré de l'avoir si peu joué. Et parce que désormais la peur est là. La peur de l'autre, de perdre son travail, des attentats. Voilà ce qui arrive quand on a une telle politique de ventes d'armes. Avec son air de gallinacé, on ne croirait pas que François Hollande est un faucon qui vend des destroyers ou des avions destinés à tuer. J'ai toujours refusé de le rencontrer. Il est trop tactique, il ne m'intéresse pas."


Noir et blanc

par Bernard Lavilliers (1986)

"C'est une ville que je connais 

Une chanson que je chantais 

Y'a du sang sur le trottoir 

C'est sa voix, poussière brûlée 

C'est ses ongles sur le blindé Ils l'ont battu à mort, il a froid, il a peur"




"Je parle ici d'un de mes amis chanteurs brésiliens, Geraldo Vandré, à qui on a brisé les mains pendant la dictature. 'Sa voix', c'était la sienne, c'est celle de tous les opprimés d'hier et d'aujourd'hui. J'ai créé Noir et blanc au moment des manifs contre la loi Devaquet - Malik Oussekine avait été matraqué à mort. La phrase, 'y'a du sang sur le trottoir' résonnait soudain incroyablement. 

Mandela, cité dans le texte, était encore en prison. J'ai chanté Noir et blanc en Afrique du Sud; la chanson était déjà connue car N'Zongo Soul, qui me rejoignait sur ce titre, l'avait traduite en lingala. Elle a aussi connu une version portugaise, en Angola. Souad Massi, Ismaël Lo, les Tambours du Burundi l'ont reprise.

Les chansons voyagent, la musique, c'est comme l'eau, on ne peut pas la colmater. J'ai interprété Noir et blanc avec 1789 enfants de la francophonie pour le bicentenaire de la Révolution dans la cour de l'Elysée, à la demande de François Mitterrand. Je ne vote pas - un anarchiste ne vote pas -, mais je l'avais soutenu à la présidentielle de 1988. La mélodie plaît aux petits, elle est simple, bizarrement le refrain descend. On m'avait prédit: 'Ce ne sera jamais un tube, regarde, Goldman, ses refrains montent.'"


Les Mains d'or

par Bernard Lavilliers et Pascal Arroyo (2001)

"Je voudrais travailler encore - travailler encore 

Forger l'acier rouge avec mes mains d'or 

Travailler encore - travailler encore 

Acier rouge et mains d'or [...] 

Je coûte moins cher - moi 

Que quand je travaillais - moi"






"La musique aurait pu m'évoquer une jolie fille qui danse dans une île, mais les mots se précipitaient et je revoyais mon titre Fensch Vallée, sur l'album Les Barbares. J'ai travaillé à la Manufacture d'armes de Saint-Etienne: dans les laminoirs, j'ai fait les trois-huit, j'étais de nuit, et la journée je suivais des cours de mime. 

Personne n'a encore écrit de chansons sur ces villes de Lorraine qui finissent toutes en 'ange', envoient du soufre nuit et jour et ressemblent à l'enfer. A l'époque, il y avait du travail. Les syndicalistes ont chanté Les Mains d'or à Florange, je l'ai moi-même entonnée pour la fermeture de Bata. J'ai lu la loi Travail, c'est une loi technocratique, capitaliste. Le peuple ne va pas oublier ce genre d'insulte."

Le 15 juillet aux Francofolies de La Rochelle (Charente-Maritime). 

A partir du 22 septembre en tournée. 

Le 7 octobre salle Pleyel, Paris (VIIIe). 

POUVOIRS, réédition CD le 16 septembre (Barclay).


Gilles Médioni, L'Express le 15 juillet 2016

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