mercredi 26 octobre 2016

"The Catfish" de Popa Chubby, album patchwork entre tradition et modernité




On connait le bluesman au physique imposant, au jeu de guitare acéré, tranchant, parfois un peu bavard, mais toujours sincère. Dans son dernier album, ce 7 octobre chez Verycords (Warner), il brouille les pistes avec un mélange des styles : du funk, du jazz, du reggae, le tout baigné dans un blues-rock en fusion. Un album à la fois moderne et profondément enraciné dans l’Histoire du blues.



Le catfish, c'est lui, comme il le clame dans la chanson-titre, un rock puissant aux sonorités texanes, à la ZZTop. "Le poisson-chat", drôle de titre pour un album de l’autoproclamé "King Of The New York City Blues", sauf si on imagine aisément qu'il fait référence au grand classique "catfish blues", véritable hymne national du delta blues, enregistré par Robert Petway en 1941, repris plus tard par les plus grands du genre (environ 200 versions !) comme Muddy Waters qui en fera son tube légendaire Rollin'stone (donnant son nom au non moins légendaire plus grand groupe de rock du monde), BB King, Jimi Hendrix, ou encore Popa Chubby lui même.

Un ancrage dans l'histoire du blues donc (les premiers morceaux blues faisant référence à ce “poisson chat” que les “jolies femmes vont pêcher” datent des années 1920), mais le guitariste de Brooklyn ne se contente pas d'une relecture standardisée du genre : il transgresse, il bifurque, fait un détour par le reggae, apporte des touches jazzy, s'engouffre dans le funk et la soul, esquisse même une échappée vers l'electro-dub. Mais s'il emprunte ces chemins de traverse, c'est pour mieux revenir au son originel du delta avec une formation réduite dobro-piano-basse-washboard sur le dernier titre.

POPA CHUBBY ☠ The Catfish (NEW song) 9/30/16 




Ca démarre fort. Dès le premier titre Going Downtown on n'est pas dépaysé, c'est bien du Popa Chubby. Du blues-funk lourd, à la rythmique et au riff solides, par dessus lesquels la wah-wah s'envole et donne tout de suite le ton : il va y avoir de la sueur, de la sensualité, de la virilité, bref du blues.

Le titre suivant Good Thing ne dépareille pas en restant sur des couleurs soul, avec toujours la wah-wah omniprésente, et un riff Zeppelinien en diable.

Puis sans prévenir, le reggae s'invite à la fête sur Bye bye Love, où le guitariste assure lui-même également la rythmique basse-batterie.On repart ensuite sur du rock plus classique, avec Cry til it's a dull ache et l'énergie infatigable du géant newyorkais, avant une pause apaisée, plus subtile, moins "rentre-dedans", sur le très bel instrumental jazzy Wes is Mo. Nul doute que le Wes en question ici est Wes Montgomery l'immense guitariste de jazz auquel Popa Chubby rend hommage en imitant son jeu si particulier au pouce, sans médiator. Mais il ne se garde pas les feux de la rampe pour lui seul et offre à son pianiste l'occasion de briller lui aussi sur le devant de la scène.

Mais ça y est, l'acalmie est déjà terminée, on reprend le train à 100 à l'heure pour sonner comme le groupe de Lemmy sur Motorhead saved my life où le bluesman new-yorkais raconte comment le fameux groupe de hard rock a été un guide pour le gamin de Brooklyn qu'il était, et qu'il a eu la chance de voir environ 25 fois de son propre aveu, et dont il a même partagé l'affiche lors d'un festival à Clermont-Ferrand.

Une rupture de ton très nette entre chaque morceau

Chaque transition de l’album semble vouloir marquer une rupture, et à part les 2 premiers titres, aucun des autres ne ressemble au suivant ou au précédent. Il en va ainsi de ce Blues for Charlie, en hommage aux victimes des attentats de Charlie hebdo, profondément triste, tout en mineur, et aux accents parfois gilmouriens.

Mais avec Popa Chubby, on ne reste pas longtemps à s'apitoyer, et instantanément on repart sur Dirty diesel et son riff ravageur, tellement Hendrixien, qu'il en sonne presque comme une reprise.

Vient ensuite le morceau qui dénote peut-être le plus musicalement avec le reste de l'album: Slow down sugar est construit sur un motif répété inlassablement, une trompette à l'ambiance lounge, et un parfum d'electro-dub qui planne, entre le rock bruyant du précédent morceau et le titre suivant Put a grown man to sham aux couleurs jazz-blues plus classiques, et son Fender Rhodes "so old school".

Après le morceau-titre où le chanteur impose de sa voix puissante qu'il est le catfish, l'album se termine sur un retour aux sources C'mon in my kitchen qui sonne comme s'il avait été enregistré dans le sud du Mississippi de l'entre deux guerres : pas de batterie, pas d'électricité, une formation épurée avec un slide stridant qui glisse sur une guitare dobro, un piano dans le plus pur style honkytonk, une contrebasse, et un washboard, ces fameuses planches à laver qui servait d’instrument à percussions de fortune pour les afro-américains travaillant dans les champs de coton.

La boucle est bouclée. On a traversé différents styles musicaux de la seconde moitié du XXième siècle pour revenir aux origines. Comme le disait Muddy Waters dans une de ses chansons : "The blues had a baby and they named it rock'n'roll".

Poppa Cubby aime à nous rappeler qu'il y a eu aussi beaucoup de cousins, plus ou moins éloignés, et c'est justement tout son talent de les faire cohabiter harmonieusement en famille.




Par Jean-François Convert, culture Box, le 7 octobre 2016


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