mardi 27 décembre 2016

Dadaïsme en direct au festival Marseille Jazz des cinq continents (Le Monde)

Ray Lema et Laurent de Wilde
Ray Lema et Laurent de Wilde


Les pianistes Ray Lema et Laurent de Wilde et leurs invités ont enflammé La Criée, jeudi 22 décembre.

FIP, « la station musicale éclectique de Radio France » et son rendez-vous quotidien « Jazz à FIP » confient leur soirée live à deux pianistes de haut vol, Ray Lema (né en pays Kongo, en 1946) et Laurent de Wilde, musicien, producteur, écrivain, né à Washington en 1960. Soirée enregistrée et diffusée en direct. Cadre ? Le Festival Marseille jazz des cinq continents. Lequel explore une nouvelle voie pour un festival d’hiver. Théâtre ? La Criée, qui, depuis 1981, s’est imposée dans toutes les disciplines. Direction, Macha Makeïeff. Ce jeudi 22 décembre, la grande salle (800 fauteuils) est comble.

Réussite technique : une telle entreprise, deux pianistes et leurs sept invités en direct, suppose un timing et une logistique impérieuse. Une quarantaine de micros, des changements de plateau à vue, la sonorisation qui ne pardonne pas, tout un art. Plus une de ces fameuses « voix de FIP », Stéphanie Daniel pour commenter en direct l’aventure, enchaîner, annoncer, interviewer dans le petit salon en fond de scène…

Réussite technique et artistique: en sortant, le public parle de musique plus qu’à l’accoutumée. Toujours écouter ce qui se dit à la sortie d’un concert. Réussite musicale : entraînés par deux frères en musique indifférents aux genres, sept invités de style, de personnalité, de notoriété aussi différents que possiblesuscitent des enthousiasmes rares: aussi bien Fabrice Di Falco, sopraniste, que Vincent Segal, glissant ce soir vers le classique ; Jocelyn Mienniel, flûtiste singulier (sauf pour qui aime jusqu’à la déraison Rahsaan Roland Kirk), la chanteuse de blues Natalia M. King, ou Médéric Collignon, emportant le morceau au cornet, à la trompette, à l’élan vital.

Ray Lema et Laurent de Wilde viennent de publier, à deux pianos, un album atypique, charmant et familier : Riddles (énigmes ou devinettes). Si, à court d’idée de cadeaux, vous devez offrir « un disque de jazz qui ne fasse pas trop jazz, c’est pour offrir à quelqu’un qui n’aime pas le jazz », passez sur vos préjugés : Riddles répondra à l’énigme.

Chignon, futal de skaï

Ce qui les menace ? Le style Jean Nohain, les Carpentier (Maritie et Gilbert), Jacques Chancel... Mais un ton carrément en dessus. Un Médéric Collignon (cornet, beat box, trompette), autant qu’un Guillaume Perret (sax free, tendance free) emballent le public.

Ceci : Guillaume Perret, chignon, futal de skaï, bottines en plastoche orange, carrière surprenante, dernier album en solo, se lance dans l’éloge (intelligent, certes) des femmes de l’ombre – agentes, attachées de presse, directrices de club ou de festivals. Et là, il fait entrer «Jess », Jessica, son agente à lui, sa chérie, la mère de ses deux enfants. Il la demande en mariage. A La Criée! en direct, bagues lumineuses. Dans le pavillon de son ténor, il a installé une sorte de cataphote rouge vif, du meilleur effet. Le dadaïsme en direct.

Vous savez sur quoi bascule cette soirée aux airs des 36 Chandelles de Jean Nohain ou des plateaux de Jacques Chancel? Elle bascule avec l’irruption magnifique de Manu Dibango (né en 1933). Vraie surprise du programme. Il joue du marimba. Explications, comme Laurent de Wilde explique son piano transformé en balafon, ou Manu. Car la soirée est traversée d’informations précieuses.

Plus cette stupeur : la forme même de cette radio en public, fait que des musiciens méconnus de la télé ou ignorés en raison de leur style supposé (le free, le contemporain, l’expérimental) se font entendre à fond. A ce raout des genres confondus, tous ont participé gracieusement. Fort bien. Entrée libre. Fort mieux. Pourquoi n’avoir pas invité des enfants sans le sou, des migrants un peu maigres, des Roms sans rhum, un rien de diversité ? Parce que là, les amis, c’était plus que fameux, mais enfin, on restait entre nous.

Dans le bonheur, certes, mais très entre nous. Enfin, c’est Noël.

Francis Marmande Le Monde du 24 décebre 2016

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