mercredi 21 novembre 2012

Led Zeppelin ou le crépuscule des dieux (Le Figaro)



En 1977, la scène punk prétendait avoir la peau des dinosaures du rock. Clash, Sex Pistols, Buzzcocks et autres Damned n'avaient alors qu'une idée en tête: rayer les mastodontes issus de la décennie précédente de la carte. Mettre fin à la domination de Pink Floyd, des Who ou de Led Zeppelin. Ayant acquis le statut de semi-divinités auprès de leur public, ils étaient considérés comme les symboles de l'embourgeoisement d'une musique qui aurait perdu l'urgence et la spontanéité des origines. Trente-cinq ans après, force est de constater que les «dinosaures » ont plutôt mieux résisté aux ravages des années que leurs opposants punks. Non seulement leur règne n'a pas été compromis par les impétrants, mais leur pérennité est assurée, à mesure que chaque génération découvre leur legs colossal.



Il n'était certes pas prévu au programme que Led Zeppelin fasse l'actualité en 2012, quelque quarante-quatre années après sa formation. Non seulement parce qu'ils ont cessé de produire de la musique dès 1980, mais aussi parce qu'ils avaient juré ne jamais se réunir. La mort accidentelle de leur batteur, John Bonham, les avait déterminés à clore une aventure qui les avait menés au firmament du succès pendant toute une décennie. La domination exercée par le quatuor dans les années 1970, aussi bien en terme de ventes de disques que de tournées gigantesques n'a pas eu d'égal aux États-Unis. La dignité les a encouragés à ne pas remplacer leur camarade, une décision, hélas, que n'ont prise les Who, qui ont tôt fait de remplacer Keith Moon pour repartir avec un nouveau batteur, et enchaîner les mauvais disques trop longtemps.

Led Zeppelin a ainsi résisté aux offres délirantes de promoteurs de les voir se réunir, ne rompant ce pacte qu'à quelques reprises: en 1985 dans le cadre du Live Aid (avec Phil Collins à la place du mort), puis en 1988 à l'occasion des 40 ans de leur label, avec Jason Bonham remplaçant son père. C'est logiquement dans cette formation qu'ils ont honoré la mémoire d'Ahmet Ertegun, fondateur d'Atlantic, lors d'une soirée spéciale en son hommage, en décembre 2007. Cinq ans après, le concert est enfin disponible en disque et en film sous le titre Celebration Day.

Tenue de guitar-hero

Non seulement le fils Bonham s'acquitte honorablement de la tâche qui lui incombe, mais les trois rescapés font montre d'une forme éblouissante, en particulier Jimmy Page, guitariste, compositeur, producteur et leader. On sent à quel point l'homme ne s'est jamais détaché d'une aventure qu'il a menée de main de maître. On lui saura gré d'avoir résisté à la tentation de reprendre la route en remplaçant le chanteur Robert Plant dans la foulée de ce triomphe. De The Doors à INXS, en passant par Queen, on a vu, ces derniers temps, plusieurs groupes poursuivre en remplaçant leur chanteur défunt, aux seules fins d'arrondir leurs fins de mois et de flatter bassement la nostalgie des foules. S'il n'existe aucune règle écrite en la matière, il est déplorable que des groupes comme ceux-là puissent continuer après la défection d'un membre clé.

Jimmy Page, Robert Plant et John Paul Jones se réunirent le mois dernier dans un hôtel de Londres afin de présenter Celebration Day, témoignage filmé de leur reformation. Dans le cadre de l'exercice si contraignant de la conférence de presse, les trois sexagénaires se félicitaient d'avoir réussi cet inattendu retour sur scène. Et si la question leur a été posée à de nombreuses reprises, avec des formulations différentes, aucun n'a jamais répondu à l'interrogation qu'on peut résumer ainsi: comptent-ils remettre ça?

On sait à quel point John Paul Jones avait été froissé que les deux autres repartent ensemble au milieu des années 1990 en évitant de réactiver le nom de Led Zeppelin. Il est de notoriété publique que Robert Plant n'a jamais été favorable à d'énièmes retrouvailles avec des gens qu'il considère comme d'anciens collègues de travail. Des trois, Jimmy Page a toujours paru le plus enclin à réendosser sa tenue de guitar-hero. Le caractère anecdotique de sa carrière après 1980 en atteste cruellement: Page n'a jamais surmonté la fin du groupe. Dans le très bon documentaire It Might Get Loud, où il est confronté à The Edge et Jack White, Page évoquait des projets à venir. Cinq ans après, on n'en a toujours pas vu la couleur.

La parution de Celebration Day signifie-t-elle la fin définitive de l'existence de Led Zeppelin? Il est probable - et souhaitable - que oui, s'ils veulent arrêter avec la dignité qui les caractérise depuis la mort de Bonham, il y a plus de trente ans.

«Celebration Day» de Led Zeppelin, CD, DVD et Blu-ray Warner.

Olivier Nuc, Le Figaro du 19/11/2012

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