vendredi 18 juillet 2014

Johnny Winter, le génie méconnu du blues texan (Le Figaro)


DISPARITION - Le chanteur et guitariste a été retrouvé mort à Zurich, dans le cadre d'une tournée qui était passée par la France lundi dernier. Il avait 70 ans.

Albinos, d'une finesse extrême, tatoué, les cheveux blonds et longs, Johnny Winter faisait sensation avant même de jouer une seule note. Une fois qu'il branchait sa guitare - une Gibson Firebird, qu'il fut un des seuls guitar heroes à arborer - et se mettait à chanter, la stupéfaction était totale: ce Texan ne sonnait comme personne.



Lundi soir, il était sur scène en France, dans le cadre du Cahors Blues Festival, pour une performance symbolique. Diminué par un style de vie excessif, il ne jouait plus qu'assis, ne semblant s'animer qu'au moment de prendre un des fantastiques chorus qui avaient fait sa réputation. Pourtant, parmi les grands guitaristes de blues-rock, l'étoile de Winter ne brilla jamais autant que celles de Jimi Hendrix ou Eric Clapton. La faute à une carrière erratique, qui ne le vit jamais renouer avec son niveau de popularité des années 1970.

Disparu à l'âge de 70 ans, Johnny Winter n'était plus depuis une décennie qu'une figure fantomatique. Le 2 septembre prochain, un nouvel album studio paraîtra. Peut-être celui-ci aurait-il permis à la carrière de cet original de prendre un second souffle qui tardait à venir?

Afin de célébrer son soixante-dixième anniversaire, Sony Music a commercialisé en début d'année une anthologie en quatre CD de ce petit maître. Le documentaire Johnny Winter: Down & Dirty, réalisé par Greg Olliver - déjà auteur d'un film remarqué sur Lemmy, de Motörhead - devrait être visible prochainement. Une bande annonce circule déjà sur Internet. Le film devrait faire le récit de la vie hors norme de ce natif de Beaumont, Texas, qui a vu le jour en 1944, et son accession au panthéon du rock en vingt-cinq petites années.

Après un premier album qui pose les bases de son style, en 1968 ( The Progressive Johnny Winter Blues Experiment), le chanteur et guitariste signera avec CBS où il sortira une poignée d'albums qui scelleront sa légende. A New York, il est remarqué par Mike Bloomfield, autre prodige de la guitare blues, qui lui présente Jimi Hendrix, avec lequel il échange une joute qui fait le bonheur des éditeurs de disques pirates depuis lors. C'est grâce à ses enregistrements live exubérants, notamment Johnny Winter and, qu'il reste le plus tranchant.

Ses tours de force, le Highway 61 Revisited de Bob Dylan ou le Jumpin Jack Flash des Rolling Stones en font l'idole des aspirants musiciens, qui ont noté sa participation au festival de Woodstock à l'été 1969. En France, Axel Bauer fait partie de ses plus fervents exégètes. «J'ai appris à jouer de la guitare en déchiffrant ses solos, se souvient le musicien. Il jouait très vite, avec un phrasé particulier et une voix qui en faisait un peu l'ancêtre de Jack White. Sa patte, c'était l'âme du blues qui ressortait à travers la fureur du rock'n'roll.»

Contrairement aux petits Anglais (Jeff Beck, Eric Clapton, Jimmy Page) qui voient le blues comme une musique exotique, les racines texanes de Winter lui conféraient une familiarité plus grande avec ce style, dont l'Etat Texas porte une riche tradition. Dans les années 1980, un autre Texan, Stevie Ray Vaughan, fera retentir cet héritage, avec le même bassiste que son aîné. Ce souci d'authenticité, Winter l'appliquera à son héros de jeunesse Muddy Waters en lui permettant de signer une remarquable fin de carrière en produisant plusieurs de ses albums comme Hard Again, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980.

Sa patte, c'était l'âme du blues qui ressortait à travers la fureur du rock'n'roll  (Axel Bauer )

Sur Mannish Boy, on peut entendre Winter hurler de bonheur derrière son père spirituel. La décennie MTV sera moins favorable à ce flamboyant musicien qui trouvera refuge sur de petits labels où il enregistrera de formidables albums de blues acoustique. Armé d'une guitare National, il s'y révélait le digne hériter de Robert Johnson ou Son House, ne perdant rien de son intensité en renonçant à l'électricité.

En 1992, Johnny Winter livrait un des plus impressionnants moments d'une soirée donnée en hommage à Dylan par l'aréopage de la scène rock. Mordant comme jamais, le timbre rendu encore plus rocailleux par un flirt poussé avec l'héroïne et le whisky, il se fera incandescent à nouveau, avant de replonger une fois de plus dans l'obscurité. Dommage que ce surdoué n'ait jamais rencontré le producteur capable de canaliser cette énergie en studio afin de lui permettre de retrouver le lustre de sa gloire passée.

Oliviere Nuc, Le Figaro du 18 juillet 2014

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