jeudi 8 octobre 2015

“Just Kids”, l'autobiographie devenue culte de Patti Smith (Télérama)



“M Train”, la suite annoncée de “Just Kids” sort le 6 octobre aux Etats-Unis. Il se présente comme un voyage en dix-huit étapes qui mène Patti Smith dans des lieux phares de son univers artistique. Connaîtra-t-il le même fabuleux destin que son prédécesseur, qui cinq ans après sa parution française, se vend toujours autant ?


Les 20, 21 et 22 octobre prochains, Patti Smith fêtera sur la scène de l’Olympia les 40 ans de Horses. Face à la demande du public, elle a du rajouter une troisième date aux deux initialement prévues. Cela n’aurait sans doute pas été le cas avant 2010 : Patti Smith était aimée des amateurs de rock, ses poèmes étaient lus par ses fans, mais rien n’annonçait la popularité dont elle bénéficie désormais.

Et puis il y a eu Just Kids, paru en 2010. Aux Etats-Unis, il a remporté le prestigieux National Book Award for Non fiction et s’est imposé comme un vrai succès de librairie ; la chaîne Showtime travaille actuellement sur une adaptation en une série co-écrite par Patti Smith et le dramaturge John Logan. Publiée par Denoël, la version française s’est écoulée à cinquante mille exemplaires à ce jour et, depuis sa première édition en Folio en 2012, le format poche s’est vendu à cent cinquante mille exemplaires. On peut parler de livre culte, voué à se transmettre de génération en génération.

Pourtant, on n’a pas affaire à un roman d’un Marc Levy ou à une biographie d’une rock star mainstream, tel Keith Richards et son Life. Ici, Patti Smith raconte son arrivée à New York, sans un sou en 1969, sa rencontre décisive avec le photographe Robert Mapplethorpe (emporté par le SIDA en 1989) et leurs années de marginalité au Chelsea Hotel. « C’est une confession devenue une consécration », résume Nathalie Proth, attachée de presse des éditions Denoël, qui se souvient de l’arrivée quasi messianique du manuscrit : « Fin connaisseur des années 70, Olivier Rubinstein (ancien directeur des éditions Denoël, ndlr) l’avait acheté ‘blind’ à un agent. Quand nous avons lu le texte, nous sommes tous tombés sous le charme. Il est très personnel, poignant, écrit dans une langue élaborée… J’ai eu une revue de presse idéale ! De plus, Patti Smith adore la France et a joué le jeu de la promo. » Ceux qui ne connaissaient pas le personnage ont été agréablement surpris : à la radio ou à la télévision, on découvrait une femme « profonde et habitée sans être mystico-barrée » comme le souligne Nathalie Proth.

L’amour est enfant de bohème

Cinq années après sa parution, on (s’)offre encore Just Kids : non seulement le livre a bénéficié d’un bouche-à-oreille ultra efficace, mais son lectorat a été si étonné par les qualités de Patti Smith qu’il s’empresse de transmettre sa bonne parole. En témoigne Sonia, 32 ans, qui l’a reçu en cadeau de mariage en 2014 : « Malgré l’époque dingue qu’elle a connue, elle écrit sa vie avec beaucoup d’honnêteté et de simplicité. Elle me touche énormément quand elle parle de la galère qu’ils ont vécu, qu’ils vivaient de petits boulots tout en créant des œuvres. On n’a pas l’impression d’avoir affaire à une star qui se la raconte. Si je l’offre, c’est non seulement pour faire découvrir l’artiste touche-à-tout qu’est Patti Smith, mais aussi pour le message qu’elle fait passer : on n’a pas besoin de grand-chose pour être heureux. »

Lorsque l’humilité rencontre le glamour : on tient là l’une des clés du succès de Just Kids auprès d’une tranche d’âge très large, de 17 à 77 ans. Ce que confirme Etienne Candel, maître de conférences au Celsa Paris-Sorbonne et chercheur au Groupe de recherches interdisciplinaires sur les processus d'information et de communication (GRIPIC): « Patti Smith évoque une époque où on cultivait l’authenticité et l’alternatif, où l’on cherchait le renouvellement de la créativité. Cette promesse d’arriver à un certain épanouissement sans passer par le diktat des codes sociaux est très porteuse pour la jeunesse d’aujourd’hui. » Dans Just Kids, il n’y aucune quête effrénée de la célébrité : a contrario des stars d’aujourd’hui, jamais les protagonistes n’auraient imaginé, ou même recherché, une telle notoriété. Il y a chez Patti Smith, un refus de jouer de son image : « Si Patti Smith est une figure centrale du punk, elle a un côté très accessible, poursuit Etienne Candel. À la manière de Bob Dylan, elle représente aussi une pure mixité new-yorkaise, entre l’Amérique et l’Europe. Elle a une allure bohème, loin du punk travaillée à la Vivienne Westwood. En lisant la biographie de Smith, on peut d’ailleurs penser à celle, récente, de Kim Gordon, Girl in A Band. Mais la bassiste de Sonic Youth est devenue une essayiste influente dans l’art contemporain et s’affiche avec des fringues de créateurs, ce qui est loin d’être le cas de Patti Smith, qui est dans le déni des apparences. »

Un beau roman, une belle histoire

D’après Nathalie Proth, la dimension romanesque de cette biographie fait une grande partie de sa saveur : « Il y a tout ici : la sexualité, la drogue, l’art, la pauvreté, la musique, la photographie, l’amour. Le couple fusionnel et bienveillant qu’elle forme avec Mapplethorpe change des histoires destroy et de l’individualisme d’aujourd’hui. Tout le monde rêve d’une histoire comme celle-ci. De plus, Patti Smith est dotée d’une empathie naturelle et réussit à instaurer une intimité avec le lecteur. »

Etienne Candel parle quant à lui de « mythographie » : « Patti Smith aide à construire le mythe d’une époque et de relations entre les hommes autour d’un projet esthétique. Un lieu où ils ont découvert d’autres choses, où certains se sont perdus. » Sans pour autant être snob ou trop intello : Patti Smith parle d’Arthur Rimbaud ou de Jim Morrison comme n’importe quelle groupie, et, lorsqu’elle évoque les stars croisées dans la galaxie new-yorkaise des années 70, c’est avec une distance presque désinvolte. Allen Ginsberg, Janis Joplin, Andy Warhol, Jimi Hendrix… Ce name-dropping est impressionnant, mais ne cherche pas à jeter des paillettes aux yeux. « Elle assume sa culture qui est celle de tous et son émerveillement devant les idoles du rock’n’roll », analyse Etienne Candel. Ce qui ne peut que renforcer la connivence avec son lectorat.

Julie, 34 ans, a elle aussi reçu Just Kids en cadeau, par une de ses amies :  « Au début, j’étais dubitative car je n’étais pas spécialement fan de Patti Smith. Mais j’ai adoré toutes les facettes qu’elle présente dans Just Kids qui est, à mes yeux, un Polaroïd de la Beat Generation. On déambule avec elle dans le New York de l’époque... Son écriture est fluide, très libérée. Et puis j’admire la réussite de cette petite nana venue de nulle part. » La dimension American Dream du livre n’est sans doute pas étrangère à son succès : grâce à lui, on peut espérer être indifféremment peintre, poète ou musicien sans venir d’un milieu prédestiné…

Sophie Rosemont Télérama le 6 octobre 2015

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