dimanche 8 novembre 2015

Le blues de haute voltige d’Eric Bibb & JJ Milteau (LeMonde)



Mardi 6 octobre, Eric Bibb & JJ Milteau (il tient à cette orthographe, à prononcer JayJay), guitariste chanteur et harmoniciste historique, étaient à L’Alhambra (Paris 10e). Petite salle en surchauffe, quartet réglé comme un moteur de Stampe, le célèbre biplan inventé pour la voltige aérienne : Eric Bibb, JJ Milteau, Gilles Michel à la basse, Larry Crockett aux drums. Ponctuation parisienne d’une énorme tournée d’été qui aura culminé au festival Jazz à Vienne en juillet, devant un amphithéâtre en lévitation.






A L’Alhambra, décollage en grâce avec Pick a Bale of Cotton, un traditionnel qui relève du country blues et que l’on ne décline pas toujours avec cette fraîcheur. Suivront seize titres, dont trois au rappel, ils figurent sur l’album Lead Belly’s Gold (Dixiefrog/Harmonia Mundi) : Needed Time, Linin’Track, I Heard the Angels Singing. Nuit sous le signe du blues le plus dense, les fantaisies country les plus olé-olé, la joie de jouer et d’aller au plus profond sans le montrer.

Nuit zébrée des éclairs d’harmonica (diatonique, of course), du grand Milteau aux airs dandy de western mâtiné hip de banlieue. Eric Bibb, costar très ample, silhouette de tap-dancer (ce qu’on ose encore appeler les claquettes), sombrero de cinéma, est infatigable. On se fiche un peu de l’âge, mais personne au monde ne croirait à ses 65 ans sous ce sourire ado. Milteau, suractif, tant au minuscule et déchirant harmo, qu’en président militant de l’Adami (administration des droits des artistes et musiciens interprètes) qui a fort à faire par les temps qui courent.

Un album précieux

Ce qui est bien avec le blues, c’est que sous forme très raffinée et combinatoire hyper-sophistiquée, il dit les joies, il dit les peines, et tout le monde s’en fout. Poésie analogue aux plus grandes créations de l’humanité, on le prend encore pour un bricolage archaïque de Nègres assez simplets. C’est très bien ainsi. On n’imagine pas que les troubadours en leur ère aient embêté les braves gens. Nadine Morano peut dormir sur ses oreilles d’âne.

La rencontre d’Eric Bibb et JJ Milteau, coutumier des invitations, fait l’objet d’un album précieux : iconographie, maquette, son, textes, traductions des chansons, tout est signé du plus savant des érudits plaisants, Sebastian Danchin et consorts : « Lorsqu’il fut découvert en 1933 dans la tristement célèbre ferme pénitentiaire d’Angola, en Louisiane, Lead Belly ne se doutait pas que sa musique allait bouleverser le cours de son destin tout en faisant entrer dans l’histoire les artisans de son succès, les ethnomusicologues John et Alan Lomax. » Dans ses rêves les plus osés, imaginerait-il jamais que ses chansons, les plus évidentes des chefs-d’œuvre, seraient reprises par Sinatra, Nirvana, Tom Waits ou Bob Dylan ?

Le samedi 10 octobre, Eric Bibb et JJ Milteau sont au Nancy Jazz Pulsations, l’énorme rendez-vous de l’automne, avec un programme – une dizaine de groupes par soir ou alors Brad Mehldau en solo (complet) –, dont personne n’a jamais su, dès le premier millésime (1973), sur quel pied le faire danser, jazz, techno, chanson, électro, funk, java, tendances, mais un programme qui ne s’est jamais passé d’une grosse soirée blues : version 2015, donc, Otis Taylor, les très délurés Snarky Puppy et Eric Bibb & JJ Milteau.

Lead Belly’s Gold, 1 CD Dixiefrog/Harmonia Mundi. www.jjmilteau.net et eboutique.harmoniamundi.com


Francis Marmande, Le Monde du 8 octobre 2015

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