mercredi 10 août 2016

Chet Baker, océan de swing et de poésie (L'Humanité)


Des étoiles célèbrent le trompettiste et chanteur mort tragiquement en 1988.Erik Truffaz, Airelle Besson, Stéphane Belmondo, Camélia Jordana, Sandra Nkaké… Tous à fleur d’émotion.
Fara C. L'Humanité, le 24 juin 2016
  
L’existence du jazzman Chet Baker (1929-1988) a été une douloureuse errance. Son art de chanteur et de trompettiste a tôt subjugué les mélomanes plus sensibles à l’émotion qu’à la virtuosité. Un splendide hommage discographique lui est rendu avec Autour de Chet. Le festival Jazz à Vienne en propose, le 29 juin, une version scénique, qui précède celles qu’accueilleront le festival Jazz des cinq continents (FJ5C) à Marseille, puis la Philharmonie de Paris. La manifestation iséroise recevra une quinzaine des participants de l’album : chez les vocalistes, Sandra Nkaké, Camélia Jordana, Yael Naim, José James, Piers Faccini et, pour les trompettistes, Erik Truffaz, Airelle Besson, Stéphane Belmondo. À Marseille, le casting différera un peu, mais restera haut de gamme : un trompettiste de plus (l’Italien Luca Aquino) et, au chant, Hugh Coltman et José James avec Camélia Jordana et Sandra Nkaké. De l’opus, on retrouvera également, à Vienne et Marseille, la section rythmique de rêve : Bojan Z (piano), Christophe Minck (contrebasse) et Cyril Atef (batterie, percussions). Quant à Clément Ducol, initiateur du projet, il assurera la direction de l’orchestre.


Le meilleur de Chet Baker

Disponible en CD simple ou bien accompagné d’un DVD (un captivant making of de l’enregistrement), Autour de Chet relève un pari périlleux. Comment, dans les standards revisités, préserver l’esprit de Chet et, en même temps, laisser s’épancher la créativité d’artistes majeurs actuels ? La réponse se trouve dans le désir de chacun d’offrir le meilleur à Chet Baker. Clément Ducol, par la réalisation et les arrangements qu’il a opérés, a contribué à élaborer un écrin somptueux, mais sobre, pour les diamants que sont les chansons popularisées par le trompettiste et chanteur disparu.

Chez l’albatros du jazz, les élans de génie semblaient se livrer à un combat incessant avec les démons de l’addiction à la drogue. En 1988, Chet mourait de façon tragique à Amsterdam, en chutant de la fenêtre de son hôtel. On n’a jamais pu savoir s’il s’était agi d’un accident ou si c’était cette foutue came qui l’avait définitivement emporté dans le vide. Ses ailes de géant l’empêchaient de marcher, aurait dit Baudelaire s’il avait vécu à l’époque du souffleur de l’indicible. Une poignée de notes suffisait à Chet Baker pour exprimer l’immensité de son chaos intérieur. N’en déplaise aux critiques qui l’accablèrent en son temps, c’est son nom que chérit la postérité.

Une sensibilité à fleur d’âme

L’humble aréopage réuni dans l’opus comprend en outre les saisissants Hugh Coltman, Alex Tassel, Charles Pasi, Rosemary Standley (de Moriarty)… Les interprétations de Camélia Jordana (avec Erik Truffaz) et de Yael Naim se distinguent par leur sensibilité à fleur d’âme. Sur Grey December, le contraste entre le registre grave de Sandra Nkaké et la trompette agile, aérienne, d’Airelle Besson crée des étincelles de pure beauté. Non sans étonnement on découvre, avec le duo Ibeyi, Benjamin Biolay à la trompette. Comme chaque artiste du disque, Biolay prend le parti du dépouillement dans le jeu. L’écume extraite d’un minimalisme fécond traduit magnifiquement l’océan de swing et de poésie qui bouillonnait dans le chant intérieur de Chet Baker.

Disponible en CD et CD-DVD, Autour de Chet (Verve/Universal). Concerts-hommages : 29 juin, Jazz à Vienne, Théâtre antique, http://jazzavienne.com ; 28 juillet, FJ5C, Marseille, palais Longchamp, https://fr-fr.facebook.com/festivaljazzdescinqcontinents ; 9 octobre, Philharmonie de Paris, http://philharmoniedeparis.fr.

Fara C., L'Humanité le 24 Juin, 2016

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