samedi 20 août 2016

Ibrahim Maalouf, l'insatiable (La nouvelle République)



Le trompettiste est l’un des artistes les plus demandés du moment. Très occupé, quand il prend le temps de parler, il est question de famille, d’engagement et de musique, bien sûr.

C'est dans sa loge, quelques heures avant de monter sur scène, qu'Ibrahim Maalouf nous accorde quelques instants de ce temps. En tenue décontractée, après avoir parlé à sa maman au téléphone, le trompettiste s'assoit sur le canapé, écoute les questions et répond en toute franchise, simplement et parfaitement à l'aise. Pas de sujet tabou chez ce jeune papa qui n'hésite pas prendre la plume quand la situation est grave. Le citoyen Maalouf a des tas de choses à dire. Cela tombe bien. On est là pour discuter.

« Kalthoum » et « Red & Black Light », vos deux derniers albums sont des hommages aux femmes. Pourquoi ?


« C'est le fruit du hasard. J'avais, d'un côté, ce projet autour d'Oum Khaltoum (*) que je rêvais de concrétiser et qui a abouti par le fruit de rencontres l'an dernier. Et puis, l'autre album sur lequel je travaille depuis trois ans, est inspiré par des femmes de ma famille et par les conversations que j'ai pu avoir avec ma grand-mère. Elle me racontait le contexte de ma naissance, en pleine guerre, alors que mon père était absent parce qu'il faisait des concerts. Ce sont les femmes de ma famille qui ont géré ma naissance et le reste. Moi, qui dis tout le temps que mon père m'a tout appris, j'ai pris conscience qu'en réalité ma mère et sa manière de m'éduquer ont eu un impact bien plus important que j'avais tendance à le dire. Mon père m'a donné les armes. Ma mère m'a donné l'esprit et l'espoir, croire en ses rêves. J'ai une famille avec des hommes assez impulsifs et avec des femmes très conscientes du monde qui les entoure. »

Est-ce que Maalouf est un nom de famille difficile à porter ? C'est dur de s'y faire un prénom ?

« J'ai toujours vécu le fait d'appartenir à cette famille avec simplicité. Je n'ai jamais senti le poids de quoi que ce soit. Au contraire ! J'ai grandi en lisant les livres de mon oncle. Cela m'a nourri à un point incroyable. Aujourd'hui, j'ai toujours sur moi l'un de ses livres " Les Identités contraires ". Je le lis régulièrement, dès que j'ai des doutes. J'en ai même mis des extraits dans mes albums. La présence de mon oncle, sa bienveillance, même à distance, mon père et ce qu'il m'a appris, l'histoire de mon grand-père, qui était aussi un poète, musicologue, journaliste très influent au Liban, mes tantes qui sont toutes les deux artistes… Oui, j'ai baigné dans un monde d'artistes qui nous a permis d'échapper au drame de la guerre. »

La musique est importante dans votre famille. Les mots le sont aussi. Est-ce que vous écrivez ?


« J'écris depuis très longtemps. Je garde tout pour moi, sauf quand on me le demande, comme pour " Charlie ". Écrire, ce n'est pas ma spécialité mais quand il y a besoin de s'exprimer, je n'hésite pas. Je n'ai pas peur de prendre la plume. »

Ce n'est évident pour tout le monde de s'engager. Je pense à la tribune que vous avez signée dans « Charlie Hebdo » pour le numéro anniversaire en début d'année. Est-ce que c'est naturel, pour vous ?

« Quand on me l'a proposé, je ne me suis pas posé la question trois heures. Quand il y a des attentats, cela m'affecte. Je suis un citoyen comme tout le monde. Je réagis donc en citoyen. Mais ce n'est pas parce que je suis musicien, qu'il y a du monde à mes concerts que ma parole devrait avoir une valeur plus importante que celle d'un d'autre. C'est un engagement ponctuel, citoyen, pas un engagement artistique. »

Dans le clip de votre reprise de Beyoncé « Run the World », il y a, je pense, un engagement artistique. Vous y montrez une France quasi totalitaire dans laquelle une partie de la population doit se cacher pour échapper aux contrôles, à la police.

« Ce clip n'est pas lié aux attentats de novembre. On l'a tourné la veille des attentats. Le propos visuel de cette reprise est très engagé, en effet. En fait, ce projet est né d'un truc tout simple. Beaucoup d'amis me demandent souvent si, en cas d'arrivée au pouvoir du FN, je quitterais la France. Non ! Ce n'est pas parce que ceux qui nous dirigent n'ont pas les mêmes idées que nous et qu'on estime qu'ils sont dangereux – parce que c'est ce que j'estime – qu'il ne faut pas se battre. C'est abandonner son pays que de fuir.

« Si le FN arrive au pouvoir, cela signifie d'entrée que je n'ai plus droit à la double nationalité. C'est comme si on me demandait de choisir entre la nationalité de ma mère, libanaise et la nationalité de ma fille, française, celle que je lui ai transmise. Cela n'a pas de sens mais si j'étais obligé de choisir, j'abandonnerais la nationalité française. Sauf que ma vie est ici. Je deviendrais un résident illégal. Nous serions toute une communauté de gens en situation irrégulière mais pourtant Français. C'est cette réalité que j'ai voulu montrer dans le clip de la reprise de Beyonce. »

Le métissage est une notion fondamentale chez vous.


« C'est ma philosophie. C'est le mélange des arts qui crée l'art. Chez les humains, c'est pareil. »

Pendant la tournée qui est énorme, vous continuez à travailler sur d'autres projets ? Quel est le processus de création d'Ibrahim Maalouf ?

« J'ai mon ordinateur avec moi, ma trompette, des idées. Je passe mon temps à inventer des trucs, à composer. J'ai plusieurs projets de musiques de film, d'albums personnels, pour d'autres artistes, des projets de création en musique classique. En ce moment, je travaille sur une vingtaine de projets en même temps. Je n'arrête jamais. Je respire comme ça. Les rencontres me nourrissent. C'est comme une émulsion. En plus, j'enseigne : dans un établissement au Liban, à Narbonne, au lycée français de New York. Tous les lundis, je donne un cours d'improvisation au conservatoire de Paris. »

Il faudrait vraiment analyser votre cerveau !

« (Rires) Il n'est pas question d'intelligence, ici. Je pense que mon cerveau fonctionne dans une sorte de lâcher prise, à l'écoute de la musique, des idées. Et hop, la machine est en marche. »

 (*) Disparue en 1975, Oum Kalthoum est une chanteuse et actrice égyptienne partout célébrée dans le monde arabe.

bio express

  • Ibrahim Maalouf est né en 1980 à Beyrouth au Liban. Sa famille fuit la guerre et s'installe en France. Son père est le trompettiste Nassim Maalouf. Sa maman, Nada, est pianiste. Il est le neveu de l'écrivain Amin Maalouf (élu à l'Académie française en 2011) et petit-fils du poète, journaliste et musicologue Rushdi Maalouf.
  • En 2006, après avoir accompagné de nombreux artistes, Ibrahim Maalouf sort son premier album « Diasporas ». Dix ans et huit albums plus tard, avec un bon millier de concerts en France et à travers le monde, des récompenses (Victoire du jazz, Victoire de la musique, plusieurs disques d'or), Ibrahim Maalouf reste un artiste infatigable et très demandé.

en savoir plus: Dans le top cinq des festivals, cet été

Le trompettiste fait partie de la liste très sélecte des artistes les plus vus sur les scènes de festivals cet été. Ibrahim Maalouf y figure, d'après un chiffrage fait par une célèbre agence de vente de billets sur Internet, en cinquième position après Louise Attaque, Jain et LEJ. Voici quelques-unes des dates de la tournée du trompettiste : le 26 juin, à Paris pour Solidays ; le 15 juillet aux Francofolies  de La Rochelle ; le 16 juillet aux Vieilles Charrues ; et le 14 décembre à Paris Bercy pour ses 10 ans de live.

Propos recueillis par Delphine Coutier 

Ibrahim Maalouf - Run The World (Girls) / Official 

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