lundi 27 mars 2017

Marchons, swinguons, avec Rhoda Scott (L'Humanité)

Rhoda Scott
Rhoda Scott


Musique. La célèbre organiste aux pieds nus présente le CD We Free Queens, avec le Lady Quartet. Ces audacieuses amazones de la note bleue mettent le feu au groove.
Fara C. L'Humanité, le 17 février 2017
  
Lady Quartet, le nom du groupe de la légendaire organiste et compositrice Rhoda Scott, indique clairement la démarche de la leader, à l’instar du titre de l’enthousiasmant CD We Free Queens. Cette formation féminine réunit parmi les plus audacieuses amazones de la note bleue : Sophie Alour (saxophone ténor), Lisa Cat-Berro, (sax alto) et Julie Saury (batterie). Avec, en guest stars, Géraldine Laurent (sax alto) et Anne Paceo (batterie). Avec humour, Rhoda précise : « Nous avons également invité le frère de Sophie Alour, Julien, parce que c’est un chevronné trompettiste et un formidable humain. Et parce que nous ne sommes pas sextaires ! »

Rhoda Scott est une des premières et rares femmes instrumentistes à s’être imposées dans la sphère du jazz, laquelle, de nos jours, demeure aux mains de la gent masculine. En témoigne, avec acuité, la récente photo réunissant les lauréats 2016 de l’Académie du jazz (voir sur http://www.academiedujazz.com/palmares-2016.html). Aux côtés d’une vingtaine d’hommes (tous méritants, aucun d’eux n’étant personnellement responsable de la situation), figure une seule jazzwoman, Michele Hendricks. Mais, les clichés ayant la peau dure, cette inspirante Américaine est une chanteuse. En France, seuls 5 % des instrumentistes de jazz professionnels sont des ladies. Je regrette qu’Anne Paceo, une des trois finalistes du prix Django Reinhardt (récompense emblématique de l’Académie), n’ait pas remporté le trophée, ex aequo avec le gagnant, Fred Nardin. Le prix Django Reinhardt aurait ainsi compté, depuis 1955, quatre femmes, après Sophia Domancich (1999), Géraldine Laurent (2008) et Airelle Besson (2014). Reste à mener un travail de conscientisation en direction du jury… Il est des hommes ne se revendiquant pas forcément féministes, mais dont le rôle importe dans l’avancée de la condition féminine. Parmi eux, Jean-Pierre Vignola, producteur historique. « C’est lui qui, en 2004, m’a proposé de fonder un groupe de femmes pour un concert au festival Jazz à Vienne, se souvient Rhoda. Je lui en suis reconnaissante. » En 2016, M. Vignola a publié On the Road Again, excellent disque live de « l’organiste aux pieds nus ». Stéphane Portet, responsable du club Sunset-Sunside, fait partie de ces hommes du jazz attentifs à une certaine parité. C’est avec le nouvel album de Rhoda Scott et de ses « reines libres », We Free Queens, qu’il inaugure son label Sunset Records. « Je n’adopte pas la stratégie d’un label classique, explique-t-il. On sortira un disque par an. L’idée est d’accompagner des artistes avec lesquels se sont tissés des liens forts. Publier un album de femmes est un joli pied de nez au milieu du jazz majoritairement masculin. »

l’égérie du groove a tôt eu la reconnaissance de ses pairs

Saluons aussi notre confrère Jean-Marc Gelin, qui, via son remarquable site (http://www.lesdnj.com), n’omet pas de rendre justice aux musiciennes de talent et qui, dès 2008, a signé une belle chronique sur un opus du Lady Quartet enregistré au Sunset. En 2005, Francis Marmande, en outre, avait signalé dans le Monde, au sujet de Rhoda Scott : « Elle ne figure pas dans les dictionnaires du jazz. » Absente des premières éditions du très sérieux Dictionnaire du jazz (Robert Laffont), elle y est présente dans la réédition de 2011. Pourtant, l’égérie de l’orgue et du groove a tôt eu la reconnaissance de ses pairs. Elle avait environ vingt-cinq printemps quand Ray Charles et Count Basie l’ont conviée à jouer avec eux. Étudiante à la fameuse Manhattan School of Music, elle venait d’obtenir le grand prix du conservatoire avec mention spéciale du jury.En 1968, elle débarque en France pour étudier avec la prestigieuse professeur Nadia Boulanger. Durant de longues années, néanmoins, elle s’entendra dire, par nombre de professionnels de l’Hexagone : « Tu ne fais pas du jazz. » Mais l’histoire finit toujours par s’imposer.We Free Queens apporte sa pierre à l’édifice. Et nous, de chanter en chœur : « Au jazz, citoyennes, marchons, swinguons ! »

Rhoda Scott Lady Quartet, CD We Free Queens (Sunset Records/L’Autre Distribution), http://www.sunset-sunside.com/2016/3/artiste/80/3587/. En concert, notamment le 16 mars au New Morning.

Free Queens

Le CD We Free Queens déroule cinq compositions de Rhoda Scott, Sophie Alour et Lisa Cat-Berro, un titre de Wayne Shorter, un de Charles Trenet et une reprise de What’d I Say (Ray Charles), applaudie par le public. Chez nos reines affranchies et leurs invités (Julien Alour, Géraldine Laurent, Anne Paceo), on perçoit la discrète étincelle du gospel, les braises toujours brûlantes du R’n’B… La saveur du jazz originel est magnifiquement préservée, tout en étant renouvelée, transcendée par deux générations d’artistes qui, en osmose, cultivent avec un amour partagé les mêmes fleurs de swing.




Fara C., L'Humanité du 17.02.2017

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